Voyage des pas perdus

Le pays agonise, lentement, comme une chandelle au vent. Pendant que Port-au-Prince suffoque sous les rafales du chaos, le représentant du secteur privé au sein du Conseil présidentiel de transition, Laurent Saint-Cyr, s’envole pour le Qatar. Après le Japon, le désert doré. Après les promesses, le tourisme déguisé en mission diplomatique. Ainsi va la transition en Haïti : une parenthèse de pouvoir transformée en excursion de privilèges.

Le Conseil présidentiel de transition devait porter trois flambeaux — sécurité, élections, Constitution — mais il s’est enlisé dans les sables mouvants de l’inefficacité. La première mission, la plus urgente, la sécurité, s’est dissoute dans les bavardages et les communiqués stériles. Les gangs dictent encore l’agenda national, et les armes remplacent les urnes. La seconde, les élections, demeure un mirage : aucune réforme électorale, aucun calendrier crédible, aucun cadre juridique solide. Quant à la troisième, la Constitution, ce grand texte rêvé de refondation, elle n’est plus qu’un brouillon oublié au fond d’un tiroir ministériel.

Pendant que la nation gémit, le Conseil voyage, palabre, parade. Les membres s’en vont et reviennent, exhibant leurs photos diplomatiques comme des trophées de circonstance. Le temps fuit, mais eux continuent à feindre l’action. À quatre mois de la fin d’un mandat qui s’est étiré comme un vieux chewing-gum sous le soleil de l’impuissance, le pays reste suspendu à ses propres ruines.

Le temps mange le temps. La transition s’effiloche, les illusions s’éteignent. Ce pouvoir provisoire, censé ouvrir la porte du renouveau, aura surtout perfectionné l’art de l’attente. Chacun boucle ses valises, collectionne les rencontres, polit son image. Puis viendra le silence. Rien ne sera fait, mais tout aura été dit. Et sous les cendres du discours, Haïti continuera de se débattre, seule, dans l’indifférence raffinée de ses dirigeants voyageurs.

Elmano Endara JOSEPH