États-Unis: «Le retrait de Joe Biden a suscité un engouement de la base et des grands donateurs»

Aux États-Unis, les campagnes électorales sont extrêmement coûteuses. À la fin du mois de juin, le camp démocrate avait réuni près de 100 millions de dollars, destinés à financer la campagne de Joe Biden. Mais après le retrait du président de la course à la présidentielle, que va-t-il advenir de ces fonds ? Entretien avec Jeremy Ghez, professeur associé d'économie et d'affaires internationales à HEC Paris.

Que vont devenir les fonds initialement destinés à la campagne de Joe Biden ? Vont-ils être gelés ?

Jeremy Ghez : La campagne de Joe Biden va être démantelée peu à peu. Ces fonds vont pouvoir transiter du côté de Kamala Harris, (puisqu’elle faisait partie de sa campagne et candidatait au poste de vice-présidente, NDLR). Depuis l'annonce de la suspension de la campagne de Joe Biden, le clan Harris a réussi une levée de fonds absolument extraordinaire.

C'est probablement un record. (Dans les 24 heures qui ont suivi l'annonce de l'abandon de la course à la Maison blanche par le président Joe Biden, Kamala Harris a levé 81 millions de dollars, indique son équipe de campagne ce lundi. Ce montant ne concerne que les donations réalisées par des petits donateurs, précise le communiqué de l'équipe de la vice-présidente, soulignant qu'il s'agit de la plus importante levée de fonds réalisée en 24 heures par un candidat dans toute l'histoire américaine, NDLR).

Cela montre un engouement, non seulement de la part de la base qui peut contribuer à ces fonds, mais aussi des grands donateurs. Ils attendaient cette rupture de la part des démocrates pour qu’ils regagnent un peu de dynamisme. Ce qui est frappant, c'est que depuis dimanche soir, on est entré dans un nouveau chapitre de la campagne qui pourrait mobiliser tous les donateurs, qu'ils soient petits ou grands.

D’où viennent ces fonds qui entrent en masse dans les caisses des démocrates depuis le retrait de Joe Biden ? Proviennent-ils des petits donateurs, ou est-ce le signe du retour de certains grands donateurs qui avaient quitté le navire ces dernières semaines ?

C’est un mélange des deux. Un certain nombre de petits donateurs, effectivement, n'étaient pas inspirés par la candidature de Joe Biden. Cette candidature s'inscrivait dans la droite ligne de 2020, mais les choses ont beaucoup changé. Désormais, on ne parle plus de Covid, ni des excès de Donald Trump en face, puisqu'il n’est plus au pouvoir depuis quatre ans.

Et puis les grands donateurs commencent à se rendre compte qu'il y a une alternative à la victoire sans appel de Donald Trump. Ils vont probablement regarder la présidence de Kamala Harris avec un œil interrogateur, mais ouvert sur ce que le Parti démocrate peut incarner en 2024.

Ces gros donateurs ont exercé une pression sur Joe Biden ces dernières semaines, preuve qu’ils ont leur mot à dire. Est-ce qu'ils pourraient également avoir un rôle dans le choix du nom du ou de la future candidate au nom de colistier ?

Il faut se méfier des explications monocausales. Bien entendu, les donateurs sont là pour influencer l'issue de la campagne, notamment une campagne primaire. Dans le cas présent, on est dans un contexte inédit puisque cette nouvelle primaire va avoir lieu de manière extrêmement concentrée, avec la convention démocrate le mois prochain. La fenêtre de tir est donc beaucoup plus réduite. Mais il y a aussi l'esprit et la tradition américaine qui veut que quand le président ne peut pas se présenter, la vice-présidente reste l'héritière logique, et c'est le cas de Kamala Harris. Je pense que politiquement, il serait diablement compliqué pour les démocrates de dire qu'il faut sauter le tour de Kamala Harris. C’est une femme, issue des minorités américaines et une candidate légitime. Un certain nombre de facteurs risquent donc d’être sources de turbulences. Les donateurs en sont un, mais pas le seul.