Législatives en France: les syndicats de police redoutent une détérioration du climat social
- Ludeny Phedjyna Eugene
- 15 juin 2024
- 4 min de lecture

Alors que de nouveaux appels à manifester contre l’extrême droite ont été lancés pour ce week-end, des représentants syndicaux craignent que les policiers soient confrontés à une dégradation du climat social et une hausse des débordements dans les semaines à venir, à la veille de la mobilisation exceptionnelle requise par les Jeux olympiques et paralympiques.
« La corde n’est pas encore cassée, heureusement, mais va-t-elle casser ? C’est une crainte. » Eric Henry, délégué national d’Alliance, qui fait partie du bloc syndical majoritaire dans la police, est inquiet. Le constat n’est pas nouveau, mais unanime parmi les syndicats : les policiers sont confrontés à un « tunnel sécuritaire quasi ininterrompu depuis 2015 », avec les vagues d’attentats et une menace terroriste qui perdure, une succession de mouvements sociaux d’ampleurs ( Gilets Jaunes , réformes des retraites, émeutes de 2023) ou encore l’organisation d’évènements sportifs majeurs.
« Il faut rappeler que depuis mars dernier et l’attentat à Moscou, le plan Vigipirate est à nouveau à son niveau maximal, avec les suppressions ou le report de temps de repos que cela entraine. S’y est ajouté, en mai, la situation en Nouvelle-Calédonie qui continue de mobiliser de nombreux effectifs. Sans oublier le contexte international qui mine aussi le pays, avec les tensions liées au conflit Israël-Hamas ou la multiplication des tentatives d’ingérences russes sur fond de guerre en Ukraine » indique Christophe Miette, secrétaire national du SCSI-CFDT, le syndicat majoritaire des cadres de la police nationale.
« Fatigue chronique »
Pour ces représentants, les effets de cette « sursollicitation » sont déjà visibles : une fatigue chronique chez de nombreux fonctionnaires, de pesants « dommages collatéraux » sur leur vie privée et une « dissonance croissante entre l’image qu’ont les collègues en entrant dans ce métier et le vécu au quotidien ». Un ressenti essentiellement dû à « la dangerosité du métier qui ne cesse d’augmenter avec la multiplication des violences envers les forces de l’ordre qui ne sont pas suffisamment punies » affirme Eric Henry.
Lutte contre la hausse des actes antisémites, les violences intra-familiales, les délits routiers… « Au gré de l’actualité, tout devient prioritaire et on compte sur les policiers pour régler tous les maux de la société alors que leur nombre n’est pas extensible » déplore-t-il. Le syndicaliste dit constater un « ras-le-bol », illustré, selon lui, par la progression du nombre de démissions. Et de citer un rapport de la Cour des comptes d’avril 2023 qui recense une augmentation de 33 % des départs au sein de la police sur les quatre dernières années, un chiffre qui semblait même sous-évalué, selon cette instance.
Craintes d’une détérioration du climat social
Or, depuis l’annonce de la percée historique du Rassemblement national aux élections européennes puis de la dissolution de l’Assemblée nationale, des manifestations contre l’extrême droite ont eu lieu quotidiennement dans plusieurs villes de France, sans incident majeur. Mais des débordements et des dégradations ont été recensés notamment à Toulouse, Bordeaux, Lyon ou Nantes, pointent les syndicalistes.
« Aujourd’hui, nous sommes face à une instabilité politique quasiment inédite sous la Ve République », estime Eric Henry. « Quand on voit la pression qui est déjà montée dans la rue après l’annonce des résultats aux Européennes, on peut craindre que le scrutin à venir accentue le malaise et la fracture sociale, et que nous, policiers, nous retrouvions une nouvelle fois, au milieu de tout ça, en première ligne ».
Une crainte partagée par Christophe Miette. « Si le mécontentement politique peut bien sûr s’exprimer légitimement dans la rue », souligne-t-il, « on connait aussi la propension de groupes liés aux extrêmes, à gauche comme à droite, à chercher l’affrontement, des groupes qui peuvent aussi être instrumentalisés ou infiltrés depuis l’extérieur, avec des black blocks prorusses par exemple ». D’où l’existence, selon le syndicaliste, « d’un risque de débordements et de violences autour de ces échéances électorales, un risque d’effet boule de neige, comme ce qu’on a pu vivre à la fin du mouvement des Gilets jaunes. »
« Pour le moment, ça tient »
Au-delà du maintien de l’ordre, l’organisation des élections va de facto nécessiter l’emploi d’effectifs pour la sécurisation des bureaux de vote, et en amont, pour l’enregistrement des procurations dans les commissariats. Or, cette campagne imprévue tombe au moment où nombre de policiers étaient censés souffler avant les Jeux olympiques, durant lesquels la prise de congés a été interdite par le ministère de l’Intérieur.
Christophe Miette redoute donc que « les collègues de terrain arrivent dans un état de fatigue extrême généralisé aux Jeux olympiques ». « Bien sûr, ajoute-t-il, des compensations financières ont été négociées, mais l’argent ne fait pas tout. Et dans un métier où l’on peut être amené à prendre des décisions cruciales en un fragment de seconde, il faut avoir l’esprit clair. » Malgré tout, « pour le moment, ça tient », affirme Eric Henry, « car les policiers ont un sens aigu de l’engagement et continueront de faire leur métier avec abnégation ».
Pas de conséquences sur la sécurité des JO
Enfin, un changement de majorité pourrait-il avoir des conséquences sur la sécurité des JO, notamment en cas de changement de ministre de l’Intérieur ? Non, affirment les deux représentants syndicaux qui soulignent que les plans de sécurité ont été mis en place de longue date.
« Ce sera sans conséquence sur le plan opérationnel. La force de l’institution garantit la solidité des dispositifs », indique Christophe Miette, avant d’ajouter « Difficile d’imaginer un ministre, quelle que soit son étiquette, qui n’ait pas l’intelligence de conserver les directeurs d’équipes en place, et notamment le préfet de Paris qui est au cœur du dispositif, au moins jusqu’à la fin des Jeux. Tout changer relèverait de l’inconscience. »







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