Iran: les grands enjeux de la présidentielle
- Ludeny Phedjyna Eugene
- 28 juin 2024
- 5 min de lecture

Les Iraniens sont appelés à voter pour un nouveau président de la République islamique ce vendredi 28 juin. Un scrutin organisé dans l’urgence après la mort du président Raïssi, il y a un peu plus d’un mois. C’est également le deuxième rendez-vous électoral après le mouvement Femme Vie Liberté qui a fait trembler la République iranienne. Un contexte qui implique de nombreux défis pour les candidats en lice.
L’élection d’Ebrahim Raïssi en 2021, sans concurrent de taille autorisé à se présenter face à lui, avait marqué un tournant historique dans la marche du régime vers le totalitarisme. Après l’abstention record des législatives de février dernier – 59 %, selon les autorités iraniennes – le système politique iranien était ressorti plus discrédité encore. Cette année, la qualification d’un des candidats soutenus par les réformateurs a donc sonné comme une volonté de prouver que le jeu démocratique fonctionne toujours en Iran .
« Le fait que de grandes figures réformatrices comme Javad Zarif soutiennent Masoud Pezeshkian montre qu’il y a quelque chose qui se passe », estime le chercheur à l’IRIS Thierry Coville. « On estime qu’il y a 15 % de la population iranienne qui soutient activement le régime, 15% qui le déteste, le reste au milieu est ce que l’on appelle la couche grise qui est mécontente, mais qui veut un changement pacifique. La grande question est de savoir si Masoud Pezeshkian va arriver à susciter l’intérêt de cette couche grise ? »
La tâche n’est pas facile, le candidat s’est lui-même présenté comme un réformateur conservateur. De nombreuses figures réformatrices ont annoncé lors des dernières législatives ne plus croire en la capacité de la République islamique de se réformer de l’intérieur. Une partie d’entre eux est d’ailleurs derrière les barreaux. De la même manière, une partie de la population a perdu confiance dans la capacité des dirigeants de changer les choses.
Nous avons par exemple échangé avec Hajar qui a choisi un nom d’emprunt pour témoigner. Cette trentenaire est professeur dans une grande ville proche de Téhéran, elle n’a jamais voté et n’ira pas voter ce vendredi. « Tout ça n’est qu’un jeu », affirme-t-elle. « Certains candidats sont même allés jusqu’à utiliser la chanson Barayé, hymne du mouvement Femme Vie Liberté, pour convaincre des gens naïfs qu’ils défendent leurs valeurs. Mais la réalité est que, même s’ils le voulaient, ils ne pourraient rien faire. Ceux qui dirigent le pays, ce sont les Gardiens de la Révolution, c’est tout. »
Quel pouvoir pour le président ?
Les pouvoirs du président semblent en effet s’être réduits ces dernières années. Le Guide suprême a toujours eu le dernier mot sur les grandes lignes politiques du pays, mais la marge de manœuvre du président a évolué depuis 1979. « Les diplomaties occidentales ont bien vu qu’il était différent de négocier avec Mahmoud Ahmadinejad ou avec Hassan Rohani , note Thierry Coville. La difficulté est de montrer sa fidélité au guide tout en agissant en coulisse ou de manière indirecte quand le président n’est pas d’accord avec le guide. »
Mais avec l’élection aux airs de nomination d’Ebrahim Raïssi, le poste semble s’être réduite à une fonction honorifique de mise en application des politiques choisies au sommet du pouvoir. « Malgré tout, aujourd’hui, il suffirait d’un infime espace de respiration à la population iranienne pour l’investir et le travailler », affirme l’anthropologue et chercheuse au CNRS Chowra Makaremi. « Ce qui a changé depuis 2022, c’est que la société sait à peu près où elle en est. Les gens savent ce que veulent les uns les autres, ce dont ils sont capables. En Iran, il peut y avoir de la bouderie électorale, mais si quelqu’un arrive au pouvoir et commence à assouplir son discours, sachant qu’Ebrahim Raïssi était sur un discours extrêmement théocratique, si les choses changent à ce niveau, je n’ai pas de doute que la société civile va travailler la brèche pour l’ouvrir. Elle a prouvé qu’elle était outillée, qu’elle savait jouer le jeu de la goutte sur la pierre, ce jeu de patience avec les institutions étatiques. »
« Les gens ne peuvent plus se soigner ou s’acheter à manger »
Le sujet qui a dominé la campagne est la réalité économique désastreuse dans lequel se trouve le pays. « D’un jour à l’autre ou même en l’espace de quelques heures, le prix d’un bien peut augmenter énormément », déplore Hajar. « Il y a des gens qui ne peuvent pas se soigner, s’acheter à manger, ou qui n’ont plus de toit sur leur tête. On ne cesse de tomber plus profondément dans la misère. »
L’un des gros sujets de campagne sur ce terrain-là sont les sanctions imposées par la communauté internationale, États-Unis
en tête. Elles n’ont cessé d’augmenter dans le contexte international actuel. Entre le soutien iranien au Hamas, à la Russie et la poursuite du programme nucléaire, difficile de voir un apaisement des relations. Pourtant, sur les trois principaux candidats, deux soutiennent des négociations pour alléger ces tensions.
Mohammad Ghalibaf estime d’ailleurs que la levée des sanctions est l’unique motivation de discussions plus poussées avec les diplomaties européennes et américaines. Il appelle cependant à accroître les capacités nucléaires du pays pour forcer les occidentaux de négocier avec l’Iran. Le candidat soutenu par les réformateurs Massoud Pezeshkian promeut lui le rétablissement de relations constructives avec Washington et les capitales européennes afin de sortir l’Iran de son isolement.
« Toutes ces discussions autour des sanctions, ce ne sont que des mensonges », juge Hajar. « Ils disent beaucoup de choses sur la scène internationale, mais en interne rien ne change pour la population. La réalité, c'est que les élites de ce pays sont toutes corrompues ». Le candidat Ghalibaf, président du Parlement iranien, est d’ailleurs cité dans plusieurs affaires de corruption du temps où il était maire de Téhéran. Il y a quatre ans, c'était l’image d’incorruptible d’Ebrahim Raïssi ancien chef du système judiciaire iranien qui avait donné de l’espoir à ses électeurs. Durant les trois années de son mandat, il ne semble pas avoir changé la donne.
Qui pour succéder au Guide suprême ?
Si beaucoup attendent de connaître le visage du prochain président de la République islamique, la perspective principale reste celle de la succession du Guide suprême. Ali Khamenei a 85 ans, il est à la tête du pays depuis 1989. L’ancien président Raïssi avait un moment été pressenti pour le remplacer. « En réalité, on ne sait pas vraiment si le Guide avait donné la fonction de président à Raïssi pour lui servir de marche pied vers le siège de Guide suprême ou si la volonté du Guide était de mettre au pouvoir une personnalité obéissante et peu charismatique qui ne profite pas de la vacance de la fonction de Guide suprême pour augmenter le pouvoir du président », s'interroge Chowra Makaremi.
Le nouvel élu pourrait donc avoir à gérer cette période charnière dans l’histoire de la République islamique d’Iran. Là encore, on ne sait pas à quel point la mort d’Ali Khamenei pourrait ébranler le système. « En réalité, on ne sait pas qui des Gardiens de la Révolution ou du Guide suprême dirige l’autre », reconnaît Chowra Makaremi. « Chacun a sa théorie, mais la réalité est que l’opacité est l’un des éléments de puissance du régime. C’est dans les crises, notamment à la mort de Khamenei donc, que l’on comprendra peut-être. »







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