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Immigration: l'UE veut encore renforcer Frontex malgré l'accumulation des critiques et des scandales

  • Photo du rédacteur: Ludeny Phedjyna Eugene
    Ludeny Phedjyna Eugene
  • 22 juil. 2024
  • 6 min de lecture

En dépit des attaques dont elle fait l’objet, l’agence de surveillance des frontières européennes a vu ses prérogatives constamment renforcées depuis sa création il y a bientôt 20 ans. Pour son nouveau mandat, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a annoncé vouloir tripler ses effectifs, mais sans évoquer de remise en question. 


« Nous devons renforcer Frontex pour la rendre plus efficace tout en respectant pleinement les droits fondamentaux », a déclaré la présidente de la Commission européenne Ursula bon der Leyen jeudi 18 juillet devant le Parlement européen, annonçant sa volonté de tripler le nombre de garde-frontières et de garde-côtes européens à 30 000.


En près de 20 ans d'existence, Frontex , dont la mission est d'assister les États membres dans le contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne , n'a eu de cesse de voir ses prérogatives et son budget renforcés au fil de ses évolutions. Ses missions incluent l'analyse des risques, la surveillance et la gestion des frontières maritimes, aériennes et terrestres et la participation au financement des opérations de retour des migrants en situation irrégulière. Des opérations menées par des garde-frontières mis à la disposition de l'agence par les États membres. Elle peut par exemple participer à l'enregistrement des migrants à leur arrivée, comme depuis 2018 dans le cadre de l'opération Minerva en Espagne où elle aide les autorités espagnoles à contrôler les passagers arrivant en ferry du Maroc. Après le début de la guerre en Ukraine en février 2022, Frontex a aussi été mobilisée pour aider la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie ou encore la Roumanie à faire face à l'afflux de réfugiés. L'agence collabore également avec des pays tiers, comme l'Albanie ou la Tunisie. 


Après la crise migratoire de 2015 qui avait vu l'arrivée de plus d'un million de migrants en Europe, elle est devenue en 2016 l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes et ses missions comme ses moyens ont été étendus. En 2019, un nouveau règlement est encore venu accroître ses compétences. Il prévoit la possibilité pour l'agence d'intervenir même lorsqu’un État ne la sollicite pas. 


Un budget exponentiel, une efficacité contestée


Avec cet engagement à un nouveau renforcement de Frontex, la présidente de la Commission européenne semble en tout cas répondre à la montée de l'extrême droite aux dernières élections européennes et donner des gages aux groupes ID et ECR, auquel la dirigeante italienne Giorgia Meloni est associée, mais aussi aux conservateurs du PPE dont la politique migratoire tend à se rapprocher de celle des eurosceptiques.


Pour Marie-Laure Basilien-Gainche, professeure de droit public à l'Université Lyon 3 et membre de l'Institut Convergences Migrations, « ce renforcement de Frontex s'inscrit dans la logique du Pacte européen sur la migration et l’asile adopté au printemps dernier, qui se concentre sur le renforcement des frontières extérieures et prévoit l'externalisation du contrôle des migrations. La mise en œuvre de cette politique nécessite de développer les moyens de l'agence pour y répondre », analyse-t-elle. 


Avec un budget colossal de plus de 845 millions d’euros en 2023 contre 6 millions d'euros après sa création, c’est l’agence européenne la mieux dotée. Un montant qui prévoit le déploiement de 10 000 agents à l’horizon 2027 seulement.


En comparaison, souligne Marie-Laure Basilien-Gainche, le budget de l'agence de l'Union européenne pour l'asile était de 174 millions d'euros en 2023. Un différentiel qui montre, estime-t-elle, que « l'objectif est bien la protection des frontières plus que la protection des réfugiés ».   


Et si, rappellent d'ailleurs les spécialistes, comme le prévoit le droit international pour tous les navires, Frontex se doit de porter assistance aux embarcations en détresse, le sauvetage en mer ne fait pas partie de son mandat.  


« Le mandat de Frontex s’inscrit dans la politique sécuritaire et répressive de l’Union européenne », juge Brigitte Espuche, co-coordinatrice du collectif Migreurop qui a enquêté sur les pratiques de l'agence européenne depuis sa création. Pour elle, « le mandat de l'agence est en lui-même incompatible avec le respect des droits des personnes migrantes ». En dépit des « éléments de langage » mettant en avant à chaque réforme le respect des droits fondamentaux, dénonce-t-elle, « on ne fait que renforcer une agence qui n'a pas permis de faire diminuer les flux migratoires et qui en plus attente aux droits des personnes exilées et met leur vie en danger ». 


En 2021, rappelle-t-elle, la Cour des comptes avait d'ailleurs épinglé l'agence, la qualifiant de « pas assez efficace ».


Mauvais traitements, refoulement, opacité...


Ces dernières années, l'agence Frontex a été la cible de critiques de plus en plus larges : depuis 2020, les enquêtes et les rapports se succèdent, documentant et dénonçant l'implication – directe ou indirecte – de l'agence dans des violations des droits, des mauvais traitements et surtout de pushbacksillégaux. Ces opérations consistant à renvoyer des personnes migrantes vers des pays hors de l'UE sans leur permettre de déposer une demande d'asile, en violation du droit international.


En octobre 2020, une enquête de plusieurs médias , dont Der Spiegel et le New York Times, rapportait l’implication d’agents de Frontex dans des refoulements illégaux de migrants en mer Égée. Dans la foulée, en 2021, le Parlement européen avait demandé le gel d’une partie du budget 2022 de Frontex tant que des améliorations n'avaient pas été apportées en matière de contrôle des droits fondamentaux. En avril 2022, une enquête du Monde et Lighthouse Reports accusait l’agence d’avoir maquillé des renvois illégaux de migrants, parvenus dans les eaux grecques, en de simples « opérations de prévention au départ » en eaux turques.


En 2022, un rapport de l’Office de lutte antifraude ( Olaf ) a conduit à la démission du patron de l'agence, Fabrice Leggeri, accusé, entre autres, de non-respect des procédures et du droit, et de refoulements illégaux de migrants en mer. Ce dernier est devenu député européen sous l’étiquette Rassemblement national ( RN ) après une victoire aux dernières élections de juin.


Les appels à plus de transparence et de respect des droits humains n'émanent désormais plus seulement des ONG. Le 28 février dernier, c'est la médiatrice de l'UE qui a tiré la sonnette d'alarme dans un rapport sur le naufrage de l'Adriana, en juin 2023, au large des côtes grecques. Un drame qui a coûté la vie à au moins 600 personnes, selon les estimations.


Selon Emily O’Reilly, l’Agence européenne de gardes-frontières et de garde-côtes est « dans l’incapacité de remplir pleinement ses obligations en matière de droits fondamentaux » en raison de sa dépendance vis-à-vis des États membres de l’UE lorsqu’un bateau de migrants est en détresse. 


Cet argument est aussi souvent celui derrière lequel s'abrite l'agence lorsqu'elle est accusée d'atteintes aux droits, rejetant la responsabilité sur les autorités nationales dont elle est tributaire, se défend-elle, et qu'elle ne fait qu'assister. 


Manque de contrôle et d'indépendance


« Il y a eu des progrès » avec la mise en place d'un Forum consultatif pour les droits fondamentaux et d'un officier aux droits fondamentaux, ainsi que l'instauration d'un mécanisme de plainte, concède Léo Blaise Fontfrede, doctorant en droit européen et international et auteur d'une thèse sur les accords extérieurs de l'Union européenne en matière de migration. « Mais dans la réalité, ce mécanisme est supervisé par le directeur exécutif, qui juge s'il y a des suites à donner. De fait, très peu de plaintes aboutissent. » Ces instruments sont aussi largement sous-dotés en termes de personnels et de budget, précise-t-il.


Et le recrutement des agents aux droits fondamentaux a tardé, rappelle Brigitte Espuche, ce qui révèle, selon elle, un manque de volonté réelle de changer les choses.


En février dernier, une nouvelle enquête publiée par le Monde révélait que le bureau des droits fondamentaux de Frontex avait signalé, plusieurs mois durant, des témoignages portant sur des allégations de refoulements illégaux, de mauvais traitements et d'usage excessif de la force par la police des frontières en Bulgarie, alertant du risque de voir l'agence impliquée dans ces violations à la frontière turque. Ses demandes pour une enquête indépendante étaient restées lettre morte. 


Plusieurs recours ont été introduits devant la Cour de justice de l'UE concernant des violations des droits fondamentaux lors d'opérations de retour coordonnées par l'agence, mais aucun n'a abouti, indique Marie-Laure Basilien-Gainche, pour qui « cette impunité est problématique ». En 2023, par exemple, le tribunal a estimé que Frontex ne pouvait être tenu responsable d'éventuels préjudices après que des réfugiés syriens arrivés en Grève en 2016 avaient dénoncé leur refoulement vers la Turquie, la situation en Syrie leur permettant pourtant selon eux de prétendre à la protection internationale. 


Pour Léo Blaise Fontfrede, il faut « repenser le mode de contrôle de l’agence, avec la mise en place d'un mécanisme externe. Même si la Commission européenne est l’institution de contrôle, pour l’heure, il y a un représentant de chaque État au sein du conseil d’administration et c’est eux qui donnent les orientations sans grand contrôle. »


« Cette agence n’est pas réformable, tranche Brigitte Espuche, pour qui « elle est hors de contrôle. Il faut la supprimer pour faire cesser les violations qui sont perpétrées au nom de la protection des frontières et en toute impunité ».


Malgré ces alertes répétées, l'Union européenne semble rester sourde aux critiques. En mars dernier, la commissaire européenne aux Affaires intérieures, Yvla Johansson, se disait pour sa part « assez satisfaite de la manière dont Frontex fonctionne », rejetant le « besoin d’une réforme majeure ». Tout juste concédait-elle « des défis à relever » : « Nous avons besoin d’une meilleure formation pour son corps permanent […] et d’un personnel plus spécialisé ; nous avons besoin que les États membres soient plus rapides dans les déploiements, mais je ne crois pas que nous ayons un problème avec les droits fondamentaux », avait-elle ajouté.

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