top of page

Bangladesh: la police tire à balles réelles sur les manifestants après de nouveaux heurts

  • Photo du rédacteur: Ludeny Phedjyna Eugene
    Ludeny Phedjyna Eugene
  • 22 juil. 2024
  • 5 min de lecture

La police anti-émeute du Bangladesh a tiré samedi 20 juillet à balles réelles sur des manifestants à Dacca. L'armée reste largement déployée dans les villes du pays au lendemain d'une nouvelle journée d'affrontements meurtriers. Face à la situation chaotique, la Première ministre a annulé son voyage à l'étranger.


Face à l'intensification de la violence dans le mouvement de contestation au Bangladesh, la Première ministre Sheikh Hasina, au pouvoir depuis 15 ans, a annulé ses déplacements à l'étranger. Sheikh Hasina devait quitter le pays dimanche pour une tournée diplomatique, mais elle y a renoncé après une semaine d'escalade de la violence. « Elle a annulé ses visites en Espagne et au Brésil en raison de la situation actuelle », a déclaré Nayeemul Islam Khan ce samedi.


Le mouvement a été lancé par des manifestations étudiantes et qui a fait au moins 115 morts cette semaine, selon un décompte de l'AFP de sources policières et hospitalières. Mais avec le durcissement de la réaction de la police, qui a tiré à balles réelles samedi dans la capitale Dacca, c'est désormais la fin du mandat de Mme Hasina que réclament les dizaines de milliers de jeunes Bangladais. « Les manifestations étaient largement pacifiques jusqu'au lundi 15 juillet. Ce jour-là, les étudiants, et en particulier ceux de l'université de Dacca, ont été brutalement attaqués par une milice d'hommes affiliés au parti au pouvoir armés de barres de fer, de briques, de bâtons, explique Taqbir Huda, chercheur sur l'Asie du Sud pour Amnesty International joint par Eliott Brachet, journaliste au service International de RFI. Les choses ont empiré. Les 18 et 19 juillet ont été les jours les plus meurtriers. »


« À bas la dictatrice », ont scandé cette semaine les manifestants lors de plusieurs défilés à Dacca, une mégalopole tentaculaire de 20 millions d'habitants où des foules en colère ont mis le feu jeudi à plusieurs bâtiments gouvernementaux. Au moins une personne a été blessée parmi les milliers de manifestants rassemblés ce samedi dans le quartier de Rampura pour protester contre le couvre-feu imposé la veille. Ce dernier est entré en vigueur à minuit dans la nuit de vendredi 19 à samedi 20 juillet et restera en vigueur au moins jusqu'à 10h (4h TU) ce dimanche, a rapporté la chaîne privée Channel 24. 


Le bureau de la Première ministre a demandé à l'armée de déployer des troupes, après que la police a de nouveau échoué à maîtriser les troubles. « L'armée a été déployée dans tout le pays pour contrôler les troubles à l'ordre public », a déclaré le porte-parole des forces armées Shahdat Hossain. 


« Des centaines de milliers de personnes » ont affronté la police dans la capitale Dacca ce vendredi, a déclaré le porte-parole de la police, Faruk Hossain. « Au moins 150 policiers ont été admis à l'hôpital. Cent cinquante autres ont reçu les premiers soins », a-t-il indiqué, ajoutant que deux officiers avaient été battus à mort. Selon la même source, « les manifestants ont incendié de nombreuses guérites de police » et « de nombreux bureaux gouvernementaux ont été incendiés et vandalisés ». Les tirs de la police sont à l'origine de plus de la moitié des décès, d'après les descriptions fournies à l'AFP par le personnel hospitalier.


« Cette révolte est sans précédent dans l'histoire récente du Bangladesh, analyse Taqbir Huda d’Amnesty International. Depuis une décennie, tous les mouvements de contestation ont été rapidement arrêtés dès les premiers déploiements de forces de l'ordre.


Cette fois-ci, après les premières attaques sur les universités lundi, les étudiants sont retournés dans les rues encore plus nombreux. Ils veulent un système équitable d'accès aux emplois gouvernementaux, convoités dans un pays où le chômage des jeunes est très élevé. Désormais, ce n'est plus juste une histoire de quotas. Les manifestants s'opposent à l'utilisation brutale de la force par le pouvoir.


Ces étudiants ne permettront pas que leurs camarades soient morts pour rien. »

Un porte-parole de Students Against Discrimination, le principal groupe organisateur des manifestations, a fait savoir que deux de ses dirigeants avaient été arrêtés depuis vendredi. Un haut responsable du Parti nationaliste du Bangladesh (BNP), principale formation d’opposition , a également été arrêté aux premières heures ce samedi, selon le porte-parole du parti, Sairul Islam Khan.


Une situation chaotique


Des milliers de personnes ont assiégé une base de la police à Rangpur dans la nuit de vendredi à samedi et trois manifestants ont été tués. Les hôpitaux et la police ont fait état ce samedi de 10 décès supplémentaires à la suite des affrontements de la veille et 105 autres décès avaient été rapportés depuis mardi.


Les tirs de la police sont à l'origine de plus de la moitié des décès signalés depuis le début de la semaine, d'après les descriptions fournies à l'AFP par le personnel hospitalier. « L’augmentation des morts est une preuve choquante de l'intolérance absolue dont font preuve les autorités bangladaises à l'égard des protestations et de la dissidence », a déclaré Babu Ram Pant d'Amnesty International, dans un communiqué.


Les autorités ont imposé jeudi une coupure nationale d'internet qui reste en vigueur, entravant fortement les communications à l'intérieur et à l'extérieur du Bangladesh. Les sites web du gouvernement restent inaccessibles et les principaux journaux, dont le Dhaka Tribune et le Daily Star, n'ont pas pu mettre à jour leurs comptes sur les réseaux sociaux depuis jeudi. Bangladesh Television, le radiodiffuseur d'État, reste également hors ligne après que son siège à Dacca a été incendié par des manifestants le même jour.


Les manifestants veulent la démission de Sheikh Hasina


Depuis début juillet, les manifestations sont quasi quotidiennes . Elles visent à obtenir la fin des quotas d'embauche dans la fonction publique. Ces quotas réservent plus de la moitié des postes à des groupes spécifiques, notamment aux enfants des vétérans de la guerre de libération du pays contre le Pakistan en 1971. De nombreuses voix affirment que le programme profite aux enfants issus des groupes pro-gouvernementaux soutenant Sheikh Hasina. À 76 ans, cette dernière dirige le pays depuis 2009 et a remporté sa quatrième élection consécutive en janvier après un vote sans véritable opposition.


Depuis les premiers décès survenus ce mardi, les manifestants ont commencé à exiger que Sheikh Hasina quitte ses fonctions. « La frustration monte au Bangladesh parce que le pays n'a pas connu d'élections nationales véritablement concurrentielles depuis plus de 15 ans », observe Pierre Prakash, de l'International Crisis Group. « Sans véritable alternative dans les urnes, les Bangladais mécontents n'ont pas beaucoup d'autres options que les manifestations de rue pour faire entendre leur voix », a-t-il ajouté.


Expert du Bangladesh à l'Université d’Oslo en Norvège, Mubashar Hassan juge que la frustration d’une génération nourrit un tel retour de flamme : « Il n’y a pas d’emplois pour les jeunes et seuls les fonctionnaires bénéficient d’une stabilité économique. Les étudiants exigent donc une sélection basée sur le mérite. Leur frustration n’a pas pu s’exprimer démocratiquement lors des derniers simulacres d’élections donc ils ont été poussés dans la rue » analyse-t-il au micro de notre correspondant dans la région, Côme Bastin. 


Au fil de ses mandats sans partage, Sheik Hasina s'est aliénée une partie des 171 millions d’habitants du Bangladesh, alors qu’elle a réduit ses opposants au silence, poursuit le chercheur. « Les jeunes montrent qu’ils n’ont plus peur. Le régime ne peut donc que tenter de les intimider à nouveau. Sheik Hasina les a comparés à des agents du Pakistan qui ont commis des atrocités dans le passé. Cette insulte n’a fait que redoubler leur colère », ajoute-t-il.


La ligue Awami lancée par le père de Sheik Hasina, parti de l’indépendance envers le Pakistan en 1971, a longtemps joui de sa glorieuse histoire. Mais pour la nouvelle génération, le régime de la Première ministre est d’abord celui d’un clan autoritaire.

Commentaires


bottom of page